Julien Lebon

Julien Lebon

Game designer

Pourquoi détestons-nous les tutoriels de jeux vidéo ?

Nous avons tous été au moins une fois face à un jeu avec des tutos ignobles. 1 heure à lire plutôt qu’à jouer, pour au final n’avoir rien compris et ne pas maîtriser les bases… quand on n’a pas tout simplement passé tous les écrans de tutos, pressés de rentrer dans le vif du sujet. Mais détestons-nous vraiment les tutoriels ? N’y a t-il pas d’exemples de jeux où l’apprentissage se passe sans douleurs ?

Si oui, pourquoi, aujourd’hui encore, retrouvons-nous des jeux au didacticiel imbuvable ?

Le problème à l’heure actuelle (que je constate toujours en entreprise) c’est qu’avec les contraintes de production, les tutos sont souvent ce que l’on développe en dernier.
Ce qui pose plusieurs problèmes :
– un problème de ressources : on fera ça avec les moyens qu’on a (qui ne sont pas délirants en fin de prod) et ce sera probablement noyé sous le rush de la fin de développement
– un problème, moins évident, de créativité : les meilleures idées des designers sur ce projet ont déjà été exploitées. S’ajoute à ça une éventuelle lassitude : des mois voire des années de développement, ça use. Et à première vue, être en charge de la conception des tutos n’est pas la tâche la plus amusante.
 
Une des recettes qui marchent assez bien et qui peut convaincre tout le monde de ne pas lancer la réflexion sur les tutos à la dernière minute, c’est de s’en servir pour motiver le joueur à continuer dans le jeu. On lui fait goûter, mais on ne lui offre pas tout le plat tout de suite. Ça peut motiver également les autres pôles qui y verraient un intérêt marketing derrière.
 
Le premier exemple qui me vient ici en tête est celui du jeu Prototype.
On commence le jeu avec tous nos pouvoirs, on s’amuse,  on torture ses ennemis, on voit ce dont on est capable, même si ça semble encore un peu brouillon. Puis on nous retire nos pouvoirs et nous permet de les débloquer au fil de notre progression, tout en les rendant utiles au moment où l’on s’en servira.
On garde des écrans classiques de tutos, mais ce n’est pas trop brutal.
D’autres solutions existent, lier l’apprentissage à l’histoire du jeu ou apprendre en employant l’humour. Ce qu’on a pu voir avec Rayman 3, dans lequel le héros se fait voler ses poings pendant que son “coach” Murphy nous apprend à jouer en se moquant allègrement du manuel de jeu – qui le lui rend bien.
Le joueur se fait également voler ses poings (oui). Il devra courir après son ami pour pouvoir les récupérer. Privé ainsi de sa seule arme, le joueur peut se concentrer sur ses déplacements et ses sauts (rendus plus complexes puisque sans ses mains, il ne peut plus s’accrocher). Et puis quand vient l’heure de récupérer ses armes et d’apprendre à se battre, le joueur est motivé. Rire en apprenant à jouer, rien de tel pour engager les joueurs les plus réfractaires.
 
Une autre solution, plus orientée sur le management, peut être la création d’une sous-équipe dédiée à la création des tutoriels. Il est important de garder cette équipe en relation étroite avec le reste des designers. Mais tout cela implique évidement d’appartenir à une grosse structure pouvant se permettre ce type de sous-divisions.
 
En bref, aucune solution miracle n’existe. Mais pour solutionner ce problème sur le long terme, il semble plus intéressant de s’interroger sur les causes des choix conduisant à de mauvais tutos que sur ces tutos en eux-mêmes.